L’accès à la profession de gondolier à Venise obéit à une règle inflexible : 433 licences, pas une de plus, pas une de moins. Ce numerus clausus ne bouge pas depuis des décennies. Dans les familles, le savoir-faire circule de génération en génération, mais même les héritiers doivent passer un examen sévère, aussi bien théorique que pratique, pour mériter d’embarquer des passagers.
La rémunération annuelle d’un gondolier ne connaît pas de constance. D’une année à l’autre, les montants déclarés côtoient des chiffres circulant sous le manteau. Les estimations varient tantôt du simple au double : une réalité qui alimente les légendes entourant ce métier vénitien.
Le métier de gondolier à Venise : traditions, rôle et quotidien
Au milieu des canaux, la silhouette du gondolier attire chaque regard. Véritable emblème de Venise, il perpétue un métier dont on perçoit aussitôt la noblesse : chaque geste, chaque détail du costume, la manœuvre de la rame, tout trahit une exigence cultivée depuis des siècles.
Mais derrière ce décorum se cache un quotidien exigeant. Le gondolier se fait parfois guide, parfois conteur, parfois même confident pour des voyageurs émus de découvrir Venise côté lagune. Les journées sont longues : il faut rendre chaque course unique, naviguer dans la circulation serrée, affronter les caprices du temps et de la foule. Ce n’est pas un métier de salon : l’équilibre, l’endurance et la vigilance sont de mise du matin jusqu’au soir, parfois même sous un soleil implacable ou dans l’humidité du petit matin.
La fameuse marinière à rayures, le chapeau de paille et le foulard parfaitement noué, tout participe à l’image, mais la sélection, elle, ne laisse pas de place à l’improvisation. Un nombre limité de places, soigneusement conservé, fait de chaque gondolier un représentant du patrimoine vénitien. Impossible de décrocher ce statut sans mériter ce rôle par une implication totale : à Venise, chaque rame se gagne.
Qui peut devenir gondolier aujourd’hui ? Entre héritage et sélection
Impossible de débarquer dans la lagune et de devenir gondolier du jour au lendemain. Dans l’immense majorité des cas, la licence se transmet à l’intérieur du cercle familial. Pourtant, depuis peu, la profession s’ouvre à de nouveaux parcours : en 2010, une femme intègre pour la première fois ce bastion. Preuve que les lignes bougent, tout doucement.
Mais quels que soient les antécédents, la formation ne tolère aucun raccourci : la ville organise un concours taillé sur mesure, entre maniement du bateau, histoire de Venise, sécurité et réactivité. Il faut présenter un certificat médical et être titulaire d’un diplôme équivalent au baccalauréat.
Voici de quoi se compose la sélection, pour mieux saisir chaque étape clé :
- La transmission familiale privilégie la filiation directe, père, fils ou proche parent
- Un concours détermine les aptitudes, à la rame comme à l’oral : rien n’est laissé de côté
- Un dossier médical à jour et des justificatifs scolaires renforcent la sélection
Le résultat : une profession où la tradition se mêle à l’effort individuel. Même ceux qui héritent doivent faire leurs preuves ; la porte ne s’ouvre jamais toute grande.
Combien gagne réellement un gondolier vénitien ?
Le salaire des gondoliers suscite fantasmes et débats. Certains chiffres soutiennent qu’il s’agit d’un métier très rémunérateur, alors que les déclarations officielles nuancent souvent la réalité. Au pic de la saison touristique, une balade de trente minutes est facturée autour de 90 € en journée, avec un tarif de 110 € si l’envie vous prend de naviguer sous les lumières du soir. Ces tarifs s’appliquent à un groupe de six personnes maximum, la gondole entière étant louée pour la course.
En pleine saison, un gondolier confirmé peut enchaîner six à huit courses en une journée bien remplie, ce qui laisse entrevoir des journées à 600 ou 700 €. Dès que la foule se tarit, le rythme ralentit ; la réalité s’ajuste, les recettes aussi.
Pour cerner davantage ce qui influence la rémunération, voici les variables principales :
- 90 € la demi-heure en journée : la base de la tarification
- 110 € la nuit, quand Venise se pare de mystère
- Six à huit trajets par jour dès que la saison bat son plein
Année après année, un gondolier établi peut déclarer un chiffre d’affaires brut oscillant entre 80 000 € et 120 000 €. D’autres, installés hors des sites les plus fréquentés, évoquent plutôt des revenus compris entre 40 000 € et 50 000 €. Il n’existe pas de vérité unique. Le vrai gain dépend du quartier, du climat, du flux touristique ou encore du prestige de l’embarcadère d’attache.
Entre revenus, charges et fiscalité : la réalité économique des gondoliers
Ce métier fascine, mais l’envers du décor impose de lourdes charges. Tout commence par la gondole elle-même : un modèle sur mesure, près de 40 000 € dès l’achat, auxquels il faut ajouter frais d’entretien annuel, réparation, place sur les quais et assurance. À Venise, chaque gondolier gère son embarcation et travaille en tant qu’indépendant.
Une TVA de 10 % frappe chaque course, quel que soit le client. Les paiements en espèces sont courants, même si la ville pousse à l’utilisation des cartes bancaires, histoire de mieux cadrer les recettes. Les discussions sur les revenus non déclarés alimentent les rumeurs et les débats, sur fond de contrôles fiscaux et de politiques locales toujours plus strictes.
Chaque année, le budget du gondolier se partage entre maintenance, cotisations sociales, impôts sur les bénéfices et taxes locales. Posséder un emplacement stratégique sur le Grand Canal fait toute la différence. Ceux qui débutent, même s’ils sont du sérail, doivent affronter la concurrence des anciens, établis depuis longtemps, et ruser pour réussir à pérenniser leur activité.
Au fil du temps, rien ne garantit que la barque sera toujours pleine. Reste la fierté de perpétuer ce métier à part, de ramer entre passé et présent, sous les regards émerveillés, sans jamais baisser la garde. Venise veille, les gondoliers avancent.


